Le recul du trait de côte, un phénomène bien appréhendé par la loi Climat et résilience ?

Les territoires du littoral sont particulièrement vulnérables aux impacts du changement climatique : ils sont particulièrement denses avec une population plus âgée que la moyenne et pourraient accueillir 40 % de la population d’ici 2040 (Insee). Ils accueillent également des activités économiques stratégiques (tourisme, pêche, industrie portuaire et logistique, énergies renouvelables, etc.) et sont des réservoirs de biodiversité marine et terrestre.  

L’ensemble de ces activités est menacé par le changement climatique dont l’augmentation des phénomènes d’érosion du trait de côte. Ces enjeux se matérialisent de façon spécifique pour les territoires de l’Outre-mer avec une urgence à agir face aux impacts immédiats et lourds de conséquence du changement climatique. 

La loi Climat et Résilience (2021) propose de nouveaux outils pour adapter les littoraux et l’Outre-Mer au phénomène d’érosion du trait de côte. Décryptage à l’aide de nos experts : Laetitia Verhaeghe, experte adaptation au changement climatique à la Banque des Territoires, et » Benjamin Rougeron, expert Département Secteur Public à SVP Information Décisionnelle.

Des espaces sensibles soumis à de fortes tensions

Les communes littorales, qui affichent une densité 2,5 fois supérieure à la moyenne métropolitaine, présentent de nombreux particularismes socio-économiques : « Les prix du foncier et de l’immobilier y sont très élevés, en totale décorrélation avec les risques que ces terres encourent » relève Laetitia Verhaeghe, experte adaptation au changement climatique à la Banque des Territoires. « En compliquant l’accès au logement, ces prix élevés créent des tensions entre les résidents permanents temporaires et saisonniers ».  En outre, les pressions sur la ressource en eau exacerbées l’été avec la concentration des populations sur les littoraux vont s’accroitre avec les phénomènes de sécheresses dus au changement climatique. La question de l’accès aux soins est également déterminante avec une population vieillissante dans les communes littorales. 

Les zones littorales concentrent également des activités économiques stratégiques, comme le tourisme, mais aussi des activités industrielles, portuaires et logistiques ainsi qu’agricoles, souvent indispensables en front de mer. Elles constituent également des espaces stratégiques pour la production d’énergies renouvelables. Enfin, ces territoires regroupent de nombreux espaces naturels, maritimes comme terrestres, qui accueillent une riche biodiversité soumise aux pressions des populations et des activités. « La cohabitation qui en résulte peut-être conflictuelle et souvent concurrentielle » commente l’experte adaptation au changement climatique à la Banque des Territoires.

Des risques naturels accrus par le réchauffement climatique

Les littoraux sont soumis à des phénomènes naturels tels que l’érosion ou la submersion. Autant de phénomènes qu’accroît aujourd’hui le changement climatique en fréquence comme en intensité. « Il est estimé qu’à peu près 1/4 % du territoire est concerné par l’érosion du trait de côte » rapporte Laetitia Verhaeghe. « Ce phénomène va soulever de nombreuses questions et de sérieux défis pour l’aménagement du territoire ». 

Si le réchauffement climatique poursuit sa trajectoire actuelle jusqu’à 3,2°C en 2100 (moyenne globale mondiale), loin des objectifs de +1,5°C - +2°C fixés lors de l’Accord de Paris, la hausse du niveau de la mer aura d’autant plus d’impacts sur les phénomènes d’érosion du trait de côte et de submersion marine. « Quelques centimètres d’augmentation du niveau de la mer peuvent être très conséquents en cas de tempête et engendrer une pénétration des mers dans les terres de plusieurs kilomètres » prévient Laetitia Verhaeghe. La remontée du biseau salé qu’occasionnerait l’avancée de la mer pourrait aussi diminuer les ressources en eau douce, maximisant la tension sur cette ressource vitale lors des pics saisonniers. L’impact du réchauffement climatique sera également important pour les écosystèmes et la biodiversité, notamment du fait du réchauffement de l’acidification croissante de l’océan.  

Les impacts du changement climatique sur les littoraux et l’Outre-Mer posent ainsi en matière d’aménagement du territoire de nombreux défis, réglementaires et juridiques, économiques et financiers mais aussi sociaux, politiques et institutionnels.

Si l’on regarde les choses un peu plus positivement, ces défis présentent aussi l’opportunité de repenser nos modèles d’aménagement et de rapport au vivant.

Laetitia Verhaeghe, Experte adaptation au changement climatique, Groupe Caisse des Dépôts

La loi Climat et résilience, promulguée le 24 août 2021, prévoit plusieurs dispositions visant à adapter les territoires littoraux u recul du trait de côte. La loi a été complétée par l'ordonnance du 6 avril 2022. 

Un nouveau cadre légal : les articles 236 à 251 de la loi Climat et résilience 

La dissociation entre l’érosion et la submersion 

Aux termes de la loi Climat et résilience, l’érosion est désormais considérée comme un phénomène prévisible. Elle se différencie ainsi de la submersion, considérée comme un aléa naturel imprévisible. « La communauté scientifique a pourtant toujours considéré l’érosion comme un aléa naturel en partie imprévisible qui est associé à la submersion, chaque phénomène pouvant avoir un effet néfaste sur l’autre » déplore Laetitia Verhaeghe.  

Cette dissociation artificielle entre les deux phénomènes exclut de l’indemnisation du fonds Barnier l’ensemble des habitats, activités et autres espaces concernés par l’érosion, à la différence de la submersion, couverte, elle, par le fonds Barnier. « Le croisement de ces deux démarches, qui seront couvertes par des outils et des canaux de financement différents, pourrait accroître les complexités de gestion du risque et d’aménagement du territoire pour les collectivités locales concernées par l’érosion » regrette Laetitia Verhaeghe.  

La stratégie nationale de gestion intégrée du trait de côte 

La loi Climat et résilience consacre une stratégie nationale de gestion intégrée du trait de côte initiée en 2012, puis dotée d’un programme d’actions en 2017. Cette stratégie nationale de gestion intégrée du trait de côte opère désormais un transfert de responsabilité aux collectivités locales et leur met à disposition des outils pour adapter leur action en matière d'urbanisme et leur politique d'aménagement face au recul du trait de côte.

Les communes concernées par le recul du trait de côte, et qui à ce titre, seront dotées de ces outils, sont identifiées dans une liste fixée par décret. Pour y figurer, elles doivent cependant s’être portées volontaires. « À ce stade, seules 126 communes se sont portées volontaires, et on ne compte dans l’arc méditerranéen et en Occitanie que trois communes. Ce chiffre est très en-deçà de l’ensemble des communes qui sont en première ligne. » commente Laetitia Verhaeghe.  

La nouvelle cartographie des zones exposées au recul du trait de côte 

Dans un délai de quatre ans, les communes concernées par le recul du trait de côte qui se sont portées volontaires vont devoir cartographier les zones qui seront impactées d'ici 30 ans et celles qui seront impactées dans 30 à 100 ans.

Dans les zones exposées au recul du trait de côte à l’horizon de 30 ans, le principe est celui de l’interdiction des nouvelles constructions.

Benjamin Rougeron

Dans les espaces urbanisés de ces zones, seuls seront autorisés :

  • les travaux de réfection et d’adaptation des constructions existantes,
  • les constructions ou installations nouvelles et démontables nécessaires à des services publics ou à des activités économiques exigeant la proximité immédiate de l’eau,
  • les extensions des constructions existantes démontables à la date d’entrée en vigueur du PLU délimitant les zones.  

Dans les espaces non urbanisés, seules seront autorisées les constructions ou installations nouvelles démontables qui sont nécessaires à des services publics ou à des activités économiques exigeant la proximité de l’eau.

Dans les zones exposées au recul du trait de côte à un horizon compris entre 30 et 100 ans, le texte prévoit la démolition de toute construction nouvelle et des extensions des constructions existantes « lorsque le recul du trait de côte est tel que la sécurité des personnes ne pourra plus être assuré au-delà d’une durée de trois ans » précise Benjamin Rougeron.

Il est prévu dans la loi Climat et résilience que le coût de démolition est consigné à la Banque des Territoires (dans l'attente du décret d'application).

Les autres dispositions de la loi Climat et Résilience  

La loi institue un droit de préemption au profit des communes figurant sur la liste établie par décret. L’objectif ? « Prévenir les conséquences du recul du trait de côte sur les biens qui y sont situés » estime Benjamin Rougeron. « Ce droit est acquis d’office dans l’intégralité de la zone exposée au recul du trait de côte à l’horizon de 30 ans. Il peut être accordé, à titre facultatif dans tout ou une partie de la zone exposée à l’horizon de 30 à 100 ans ». 

Les documents d’urbanisme doivent par ailleurs être adaptés. Le recul du trait de côte sera ainsi pris en compte dans les schémas de cohérence territoriale (Scot) et les plans locaux d'urbanisme (PLU). « Les plans de prévention des risques naturels devront également être révisés en cohérence avec la nouvelle cartographie. Et les schémas régionaux d'aménagement et de développement (Sraddet) devront identifier des territoires de relocalisation » expose Benjamin Rougeron à propos des nouvelles dispositions légales. « Quant aux informations sur l'érosion du trait de côte, elles devront être intégrées dans les Informations Acquéreur Locataire (IAL) » résume Benjamin Rougeron.  

L'ordonnance du 6 avril 2022 complète la loi avec de nouvelles dispositions  

L’ordonnance accorde des dérogations à la Loi littoral de 1986 aux communes particulièrement touchées par le phénomène du recul du trait de côte. « Ces dérogations sont prévues pour faciliter la mise en œuvre des opérations de relocalisation des installations et constructions menacées par l'érosion » explique Benjamin Rougeron. 

L’ordonnance prévoit aussi la création d’un bail réel d’adaptation à l’érosion côtière. « Il comprend un mécanisme de résiliation anticipée, en fonction de l’évolution de l’érosion, si la sécurité des personnes et des biens ne peut plus être assurée » détaille Benjamin Rougeron. 

L’ordonnance définit enfin une méthode d’évaluation de la valeur des biens exposés au recul du trait de côte, à horizon de 30 ans. 

Le cas particulier des Départements et Régions d’Outre-Mer : un régime de constructions limitées 

La loi Climat et Résilience organise la possibilité d’une extension du périmètre de la réserve domaniale des 50 pas géométrique au regard de la projection du recul du trait de côte à l’horizon de 30 ans.

Elle donne aux autorités la possibilité de déclasser des terrains situés dans les espaces urbains et les secteurs occupés par une urbanisation diffuse. « L’objectif est de les céder aux personnes ayant édifié ou fait édifier avant le 1er janvier 2010 des constructions à usage d’habitation ou à leurs ayant droit » souligne Benjamin Rougeron.

Elle prolonge, enfin, les missions des agences pour la mise en valeur des espaces urbains de la zone des 50 pas géométrique (Martinique et Guadeloupe) jusqu’en 2031.

Quels financements pour recomposer le littoral ? 

Un fonds, financé par l’État, est prévu pour accélérer la transition écologique dans les territoires. « Il prévoit le financement à 80 % des nouvelles cartographies d’exposition au recul du trait de côte, produites par les communes qui sont sur la liste ou demandent à l’être » détaille Laetitia Verhaeghe. « Et pour ces mêmes communes, il prévoit également le financement des projets partenariaux d’aménagement et notamment des projets de recomposition territoriale » ajoute Laetitia Verhaeghe. Un AMI va être lancé par l’Etat pour accompagner des expérimentations de relocalisation des campings menacés par l’érosion du trait de côte.

Enfin un comité national d’érosion du trait de côte a été créé le 14 mars 2023. Il est chargé « d’évaluer les besoins et les principes des règles de financement, de construire un consensus sur le modèle économique de la recomposition spatiale des territoires littoraux, et de définir plusieurs scénarios de modèles économiques impliquant l’État, les collectivités et les propriétaires » détaille Laetitia Verhaeghe. Une concertation avec l’ensemble des acteurs concernés a été lancée et devrait aboutir à un premier rendu à l’automne 2023. Ses travaux seront pris en compte dans la révision de la Stratégie Nationale de Gestion intégré du trait de côte.

Laetitia Verhaeghe

Experte adaptation au changement climatique, Groupe Caisse des Dépôts

Après un doctorat sur la transition écologique et le développement de flux de matières entre villes et campagnes, elle s’est engagée au sein de la Banque des Territoires afin accompagner les acteurs locaux dans l'adaptation au changement climatique et au développement de la résilience territoriale.

Voir son profil LinkedIn

Benjamin Rougeron

Expert Département Secteur Public à SVP Information Décisionnelle

Après une formation initiale en droit public et des expériences notamment dans le secteur de la formation professionnelle, Benjamin Rougeron exerce en tant que juriste associé auprès de Territoires Conseils depuis 2006. Il y a intégré le service de renseignements téléphoniques, qui se propose de répondre quotidiennement aux différentes problématiques juridiques et financières que soumettent élus et agents des communes de moins de 20 000 habitants et des intercommunalités.  

Benjamin Rougeron est membre d’une équipe d’experts associés qui animent également régulièrement des webinaires consacrés à des sujets d’actualité, particulièrement axés autour des grands enjeux portés par la Banque des Territoires (transition énergétique, développement durable, aménagement et urbanisme, finances locales, …). Ce fut le cas de ce webinaire consacré au défi du recul du trait de côte, présenté en compagnie de Laetitia Verhaeghe.